Cette plante aux fleurs mauves revient du royaume des morts. Spécifique à l’île Maurice, le Cylindrocline de Lorence (Cylindrocline lorencei) était une espèce éteinte. Aujourd’hui, elle a repris racine sur une montagne de l’île de l’océan Indien. Cette bonne nouvelle pour la biodiversité est l’épilogue d’une histoire à rebondissements.
En 1977 et 1982, Jean-Yves Lesouef, le fondateur du Conservatoire botanique national (CBN) de Brest, se rend auprès des deux derniers plants de Cylindrocline connus, dans un parc national de l’île Maurice. Il recueille une cinquantaine de graines. « En 1990, nous constatons que la plante a disparu de l’île, explique Stéphane Buord, directeur scientifique du CBN pour les actions internationales. Des espèces invasives, comme le goyavier de Chine, ont envahi son milieu. »
Cultivé sous serres durant plusieurs décennies, le Cylindrocline a retrouvé son milieu naturel. (Photo : Conservatoire botanique national de Brest)
Tous les plants meurent
À partir des graines, stockées dans un congélateur à -18° C, les botanistes brestois cultivent des plants. Ils en envoient aux autres conservatoires, de Londres à Copenhague. Mais les besoins en eau de la plante sont compliqués… En 1992, malgré d’excellents jardiniers, tous les plants meurent. Stéphane Buord réalise alors des tests « de coloration vitale » pour savoir si l’embryon vit dans la graine. Parfois oui, « mais si la réserve de la graine n’est plus vivante, l’embryon ne germe pas ». Très peu de graines sont viables.
Le botaniste fait appel aux biotechnologies et à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). En 1993, des cellules d’embryons sont cultivées in vitro. Des plantes grandissent, avec feuilles et racines ! C’est une première mondiale pour la biodiversité. Lentement, sous les serres du conservatoire, les plantes montent à 2,50 m. Elles fleurissent en 2006 ! Mais deux ans plus tard, elles dépérissent.
Eteinte dans la nature, la plante a refleuri pour la première fois en 2006, au Conservatoire botanique national de Brest. (Photo : Conservatoire botanique national de Brest)
À partir d’un bourgeon
Sur ces Cylindroclines en fin de vie, les botanistes récupèrent in extremis les bourgeons. En collaborant avec Vegenov, un Centre de ressources technologiques, il devient possible de multiplier une plante, sans ses graines, mais grâce à ses bourgeons. « À partir d’un bourgeon, nous en obtenons une trentaine », résume Stéphane Buord. En 2008, 300 mini-plants poussent dans des tubes à essai.
En 2011, le retour de la plante sur l’île est envisagé, en collaboration avec le gouvernement mauricien. Trente premiers plants (50 cm) sont envoyés. « Ils sont arrivés dans une pépinière des parcs nationaux mauriciens, explique Catherine Gautier, responsable au CBN de Brest de la conservation ex situ. Nos confrères étaient très curieux de découvrir cette plante, vue sur des planches botaniques. Ils ont appris à la cultiver. » Mais elle ne s’acclimate pas. Un mois et demi plus tard, tous les plants sont morts.
« On n’avait jamais vu ça ! »
« En 2018, les Mauriciens repèrent un site favorable, dans la réserve naturelle de Pétrin, poursuit Catherine Gautier. Dans cette ancienne forêt primaire, les agents éradiquent les plantes invasives. Nous avons envoyé quelques plants, puis une centaine cette année. »
Les plants ont voyagé du Conservatoire botanique national de Brest jusqu’à leur terre d’origine, l’île Maurice. (Photo : Conservatoire bonatique national de Brest)
Le 4 juillet 2024, les Brestois étaient sur place. Les plants de 2018 atteignent déjà un mètre de haut ! « On n’avait jamais vu ça, s’exclame Stéphane Buord. Leur développement est meilleur que tout ce qu’on a connu. » Cette fois-ci, c’est parti.
Ces connaissances vont servir pour d’autres espèces. Notamment sur l’île Maurice, où un palmier presque centenaire est le dernier de son espèce. Avant la déforestation, c’était un arbre commun. Les botanistes veulent sauver son patrimoine végétal, qu’un cyclone pourrait emporter.