Depuis les années 1970, Maurice a connu une transformation spectaculaire, passant d'une économie basée sur la monoculture sucrière à une destination touristique prisée. Les plages immaculées, les lagons turquoise et la célèbre hospitalité mauricienne ont attiré des visiteurs du monde entier. Mais ce succès pose aujourd'hui la question fondamentale de l'équilibre entre développement économique et préservation culturelle.
La faute à qui ? Au capitalisme mondialisé, bien sûr, et à cette logique implacable qui transforme tout — même l'authenticité culturelle — en produit commercialisable. Mais aussi aux autorités mauriciennes, qui ont choisi la facilité du tourisme plutôt que l'exigence d'un développement respectueux de l'identité locale.
Dans ce grand théâtre touristique, les Mauriciens eux-mêmes se retrouvent confinés au rôle de figurants souriants.
Il y a pourtant une autre voie possible. Celle d'un tourisme exigeant, qui considérerait la culture mauricienne non comme un décor mais comme une réalité vivante. Qui inviterait le visiteur à sortir de sa zone de confort pour découvrir la véritable Maurice — celle des marchés populaires de Port Louis, des temples tamouls de Quatre Bornes, des fêtes de quartier où se mêlent les influences africaines, indiennes et européennes.
Car le véritable luxe n'est pas dans le nombre d'étoiles d'un hôtel, mais dans l'expérience irremplaçable de l'altérité. Encore faudrait-il que les décideurs mauriciens aient le courage politique de résister aux sirènes du profit immédiat pour privilégier un développement touristique à visage humain.
Il est minuit moins une pour l'âme mauricienne. Déjà, les jeunes générations délaissent le créole pour le Français et l'anglais , déjà les traditions culinaires s'érodent, déjà l'architecture vernaculaire disparaît sous les assauts du béton standardisé. Ce qui se joue ici n'est rien moins que la survie d'une identité culturelle unique au monde.
La question mérite d'être posée frontalement : voulons-nous d'un tourisme qui dévore l'âme mauricienne ou d'un tourisme qui la célèbre ? La réponse n'appartient pas aux tour-opérateurs ou les hôteliers, elle appartient aux Mauriciens eux-mêmes. Il est temps qu'ils se réapproprient leur destin touristique, avant que l'île Maurice ne devienne qu'une destination interchangeable parmi d'autres, un paradis artificiel sans mémoire ni identité.
Le défi est de taille, mais Maurice a déjà démontré sa capacité d'adaptation. En plaçant l'authenticité culturelle au cœur de sa stratégie touristique, l'île peut tracer une voie originale et durable, servant potentiellement de modèle pour d'autres destinations confrontées aux mêmes défis. Le tourisme mauricien se trouve à la croisée des chemins : celui de la standardisation mondiale ou celui de l'affirmation d'une identité culturelle forte et vivante.
Jean-Joseph PERMAL