Si vous deviez vous présenter, que diriez-vous ?
Autant que je me souvienne, j’ai toujours eu une sensibilité pour l’art. ;La mode et les autres domaines ( sculpture, photographie) sont venus après. Au fait, je n'ai pas de diplôme, je n’ai rien qui concerne l'art. Je suis diplômé en textile. Je suis “textile designer”.
Les jours où je n'avais rien à faire, je ne voulais pas aller travailler avec mon papa; je suis entré dans l'atelier de Beaux-Arts. J'ai utilisé l'atelier pour faire les choses que j'ai vues. C'est un peu comme ça que la mode et les autres domaines sont venus à moi.
Si vous deviez vous présenter, que diriez-vous ?
Comme je t'ai dit, j'ai toujours aimé la peinture. Il n'y a pas eu un moment précis où je me suis dit que j’allais devenir artiste. J’en ai pris conscience après et je me suis inscrit dans ce chemin.
Il ne fallait pas rester que sur ce truc du visuel, il fallait un peu plus de trucs philosophiques derrière ; apprendre. Apprendre un peu l'art, ça veut dire savoir peindre et comprendre la peinture. Pour moi c'est devenu deux choses différentes.
Je considère que maintenant, ma peinture est plus 20% visuel et 80% philosophique. Parce que derrière chaque peinture - ça peut être esthétiquement beau, mais - il y a une histoire dure . J'ai toujours été comme ça, j'ai toujours pris en compte la condition humaine.
Dans mes derniers travaux, mon exposition, tout ça, j'ai travaillé sur la condition humaine, conflictuelle et environnementale. C'est-à-dire que j'ai choisi ces trois thèmes là pour voir un peu ce qui se passe autour de moi. Enfin, il y a des gens qui essaient du chant, de la poésie, des écritures, du théâtre.
Moi, c'est la peinture, c'est ma façon d'exorciser un peu ce que j'ai à l'intérieur de moi. Bon, création des œuvres.
Pouvez-vous nous parler du processus de création de vos œuvres ?
J'ai un style assez particulier.=Je peins et je brûle mes travaux. Ça veut dire que quand on dit brûler, il y a pas mal de gens qui pensent que lorsque je brûle, c'est cramer, cramer, cramer, complètement. En fait, c'est faux.
J'ai une technique assez particulière où j'utilise pas mal de trucs pour ralentir le processus de brûlage. En fait, ce qui se passe dans le procédé, veut dire que c'est un petit peu plus chimique qu’artistique. Je sais ce que je fais, mais je ne connais pas le résultat final.
Parce quand on brûle, on contrôle le feu, mais on ne contrôle pas les réactions. Ce qui se passe, lorsqu'on tisse une toile, dans notre style, on laisse vivre la toile ; sa couleur est crue.
Il y a deux façons de teindre. Soit on teint le film, soit on teint la toile. Moi, j'ai pris ces produits, des sels, des produits chimiques, et je les ai mis dans la peinture. Alors, je peux peindre un tableau orange complètement, et lorsque je brûle avec l'oxydation, dépendant de l'intensité, de la quantité du produit que je mets, des produits chimiques, avec l'oxydation, ça me donne une couleur. Je peux avoir du jaune, marron, rouge, plusieurs dégradés. Parfois, on a même du vert. C'est un peu le procédé.
Pour arriver à ce résultat-là, au début, j'ai dû cramer au moins 80, 85, peut-être 100 tableaux , même, par an, pour avoir un résultat où j'étais satisfait. Et là, j'ai continué à travailler dessus, toujours faire des recherches, toujours voir ce que je pourrais ajouter en plus de ça. Là, maintenant, depuis quelques temps, j'ai commencé à ajouter un peu plus de matière textile.
Et je travaille sur les jeans. Je travaille tout le temps sur les jeans.
Pour quelle raison ?
J'ai choisi les jeans parce que les jeans, c'est un matériel universel. Tout le monde connaît les jeans. Les riches, les pauvres, les enfants, les vieux. Et on les portent comme on veut …déchirés, délavés, usés, sales. C’est un matériel qui me plaît énormément.
Pour quelle œuvre d'art aimeriez-vous que l'on se souvienne de vous ?
C’est difficile de trancher. Parce que, comme je vous l'ai dit, toutes mes œuvres sont des histoires difficiles qui sont d'ailleurs souvent marquantes.
La dernière fois, j'ai essayé de parler un peu du viol. J'ai des amis qui sont passés par cela. Il y a aussi la guerre et ses affres ou encore des problèmes environnementaux. Mais je dirais que j'ai un petit faible pour un tableau qui s'appelle Résonance. C'est une diptyque de 2,40 mètres par 2,40 mètres.
Sinon, tous les travaux sont... durs. Il faut qu'il se passe quelque chose de dur dans ma vie pour que je puisse en tirer quelque chose. Et quand j'ai fini avec ce tableau-là... je n’en ai plus envie. Je n'ai plus envie de ce travail.;Je le mets dans un coin, je l'expose…Mais il faut que je recommence quelque chose d'autre, un peu... comme quelque chose de plus fort. Il faut qu'il y ait quelque chose de plus fort pour que je puisse travailler.
Comment définirez-vous la beauté ?
Je pense qu'il y a de la beauté derrière toute chose.;;Tout dépend de la façon de voir. Comme j'avais été en Inde... Je voulais visiter les « slums » (bidonvilles). On m'a toujours dit de ne pas y aller, c'est sale.
Mais pour moi, il y avait quelque chose de beau, il y avait quelque chose... il y avait une cohérence dans le tout. C'était ça la beauté. Il y avait une beauté dedans.;Ça veut dire que tout dépend de la manière dont on regarde les choses. On voit les choses, on juge les choses aussi. C'était un peu ça pour moi.
Avez-vous une photographie, une peinture préférée qui vous inspire ?
À mes débuts j'étais très méfiant, je n’ai pas voulu me laisser entraîner par telle ou telle tendance. Mais après, comme je vous dis, j'ai appris ce qu'il y a derrière. On a bougé, là c'était un peu plus... Mais je continue de m’intéresser à ceux qui s’appuient sur des histoires fortes pour créer. Maurizio Cattelan, Louise Bougeois, Gerard Richter.
Il faut qu’il y ait de la matière derrière le visuel. Mes travaux, comme je vous l’ai dit, sont seulement 20% visuels et 80% de l’inspiration est philosophique. Alors, quand les gens viennent dans mon expo... Je les laisse visiter avant, pour qu’ils aient leur propre idée avant que j'explique. Et là lorsque j'explique, ils ont une autre vision.
Quel est votre plus grand plaisir dans la vie ?
Pour moi je pense que c'est la musique. J'adore la musique, toutes sortes de musiques. J'aime bien... Jim Morrison... Massive Attack... Maisy Star... Après j'aime le rock aussi. Slipknot... Des trucs comme ça. J'ai toujours aimé la musique.
Mais seulement... Je ne peux pas écouter de musique quand je travaille. Il faut un silence absolu. Parce que je brûle.;Plusieurs fois je me suis blessé. Il y a des produits qui éclatent. Parce que je brûle avec tout ce qui est inflammable au fait.
Tout. Le pétrole, le diesel, l'essence, l'alcool... lNoe vernis... Tout ce qui peut prendre feu. Ou tout ce qui chauffe.;Alors pour faire ça, il faut bien se concentrer. Il faut bien voir dans quelle direction on va.
Quel artiste (mauricien ou étranger) du passé aimeriez-vous rencontrer ?
Jim Morrison. C'est mon idole.Au niveau local Ti Frère incontestablement. Il y avait toute une magie derrière ce qu’il faisait. Parce qu'on écoute ce qu'il dit, ses chansons. Il savait rassembler les gens dehors. Avec sa ravane. Il fallait le faire à cette époque-là.
Interagissez-vous avec le monde numérique/la technologie dans votre travail ?
A dire vrai, je n’y pense pas tellement. Je suis assez vieille école.Je dois vivre l'idée de la peinture, du feu, du souffle... Ça me manquerait trop de travailler numériquement.
Avez-vous déjà eu un moment où vous avez entièrement remis en question votre carrière ?
Non jamais. Il faut que j'innove. Tout le temps. Du coup il y a beaucoup de recherche. Je n'aime pas rester statique. J'aime bouger. Toujours rechercher.Il faut que je sois à l’affut tout le temps. C'est ça mon but.
Quelle est votre routine quotidienne lorsque vous travaillez ?
Le travail physique n'est pas tout le temps. Ce n'est pas nécessairement tous les jours. Parfois, ça travaille dans la tête aussi. Ça continue à réfléchir, à voir, calculer. Parfois, même dans la nuit, j'ai une idée, je me lève. Si je ne peux pas aller le faire, je l'écris.
Je note, je garde. C'est plus ça. Il n'y a pas de moment précis.kMais plutôt quand l'envie se présente. Il faut avoir envie. Il faut aimer ce qu'on fait.
Quel conseil donniez-vous à un jeune artiste qui débute ?;Je lui dirais de toujours travailler. Parce qu'on va voir l'avancement. Que le travail doit être continu, de faire beaucoup de recherches. Un truc que je vois que les jeunes ne font plus.Ils ne lisent plus. Moi, auparavant, lorsque je faisais des recherches, j'allais à la librairie, je prenais une pile de livres. Il fallait chercher feuille par feuille.
Maintenant, ils ont tout sur une tablette. Ça ne sert pas. Ils ont toutes les informations. Nous on était bloqué sur l'île. Auparavant, nous, avant que les infos sortent de l'Europe, les plus grandes expositions autour de l'Europe en Amérique, les informations venaient à nous ça prenait des mois.
Maintenant, on a tout instantanément. Il y a une telle facilité. Quelque chose se passe, ici ou ailleurs ? On lance une vidéo, on critique…C’est le monde d’aujourd’hui.
Après, je trouve qu'à Maurice, on produit beaucoup de bons copieurs, mais très peu de créateurs. Beaucoup, beaucoup de copieurs.Je ne sais pas si c'est un danger. Mais tout dépend de la perspective des gens aussi. Comment veulent-ils avancer ?
Pourquoi aimez-vous ce que vous faites?
Disons que ça me délivre de certaines choses. Comme je l'ai dit, j'exorcise mes démons à travers ma peinture. C'est ma façon de m'exprimer, de retirer ce qu'il y a dans mes tripes. C'est un peu ça.
Un compliment qui vous fait fondre ?
J'aime bien que les gens apprécient mes travaux.;Parce que quand j'expose un truc, si quelqu'un s'arrête, même s'il donne une mauvaise critique, pour moi, ce n'est pas mauvais, parce qu'au moins, il a pris le temps de s'arrêter et de voir. S'il passe devant et qu’il ne regarde même pas. Là, c'est dur pour moi. Mais s'il passe devant et qu’il regarde. C'est bien pour moi.
À quel point l'île Maurice est-ce une source d'inspiration pour vous?Je suis Mauricien jusqu’au bout des ongles et le pays dans tous ses aspects, négatifs ou positifs, me parle. Oui je pense que l’île, sa manière de vivre, ses joies et ses colères, joue un rôle déterminant dans mes créations.
Un souhait pour finir ? L'île Maurice grouille de bons artistes.On a le potentiel de bien faire. Mais le problème, c'est qu'on n'a pas de visibilité à l'international. On n'a pas de possibilité.,Comme je l'ai dit, les Seychelles sont plus petites que nous mais ils ont une visibilité à l'international. Ils ont des créé des fondations, des galeries. Il y existe même une galerie nationale. Alors que nous on se contente de parler sans rien faire de concret.
Je pense que s'il y a quelqu'un qui vient, si on a un bon Ministre des Arts et de la Culture, qui sache bien planifier toutes ces choses, je pense qu'on ira loin. On a pas mal de gens, pas mal de bons, bons artistes qui ont brillé ailleurs mais qui ne peuvent rien faire ici.