« Depuis tout petit, je me prépare pour Cavadee. La chaleur, on l'oublie quand on est dans la prière », confie Ganessen, dévoué du temple de Kaylason de Sainte Crois. Dix jours avant la célébration principale, les fidèles entament leur "carême" dans la moiteur de février. Vêtus de blanc, ils convergent vers les temples dès 5 heures du matin, profitant de la fraîcheur relative de l'aube pour les premières prières. Le régime végétarien, l'abstinence et la méditation quotidienne forgent leur préparation spirituelle, tandis que le soleil monte inexorablement dans le ciel mauricien.
Le jour tant attendu débute bien avant les premières lueurs. Dans la pénombre, les familles s'affairent autour des cavadees, ces structures majestueuses qui peuvent atteindre deux mètres de hauteur. Les femmes en sari colorés tressent des guirlandes de fleurs jaunes et orangées - des œillets d'Inde et des roses - qui décoreront les arches de bois. L'air encore frais vibre des premiers "Arohara" qui s'élèvent dans la nuit.
Vers 7 heures, quand le soleil commence à darder ses rayons implacables, les processions s'ébranlent depuis les rivières sacrées. Le long cortège transforme les routes en rubans multicolores où se mêlent les saris roses, jaunes et violets des femmes, le blanc immaculé des vêtements des hommes, et l'éclat métallique des vel (aiguilles) qui scintillent sous la lumière intense.
Ame mauricienne
La sueur perle sur les visages, mais la ferveur des dévots transcende l'inconfort physique. Des bénévoles, postés tous les 100 mètres, distribuent de l'eau et du jus de citron aux pénitents. Les plus anciens racontent que jamais, de mémoire de Mauricien, un porteur de cavadee n'a abandonné à cause de la chaleur.
Vers midi, quand le soleil est au zénith et que la chaleur devient presque insoutenable, les premiers cavadees arrivent aux kovils. À Beaux Songes, à Camp de Masque, ou encore au tkovil de Mont Goût, les prêtres attendent, imperturbables dans leurs vêtements traditionnels. Le lait que les fidèles ont porté pendant des kilomètres est enfin offert au Seigneur Muruga, dans un moment d'intense émotion collective.
Cette célébration, qui défie les éléments et transcende la douleur physique, est devenue un symbole de l'identité tamoule mauricienne. Plus qu'un rituel religieux, c'est un moment où la communauté tout entière exprime sa résilience et sa foi. De l'aube brûlante au crépuscule, Thaipoosam Cavadee témoigne de la capacité des Mauriciens à maintenir vivantes leurs traditions les plus sacrées, transformant les routes surchauffées de l'île en chemins de dévotion et de grâce.
Comme le dit si bien Yogini, une habitante de Triolet : « Cavadee, li pas zis ene fête religieuse, li ene parti nous l'âme mauricienne. » (Cavadee n'est pas juste une fête religieuse, c'est une partie de notre âme mauricienne)