L'origine du nom de cette localité mérite qu'on s'y attarde. Contrairement aux apparences, ce n'est point une évocation méditerranéenne, mais bien le souvenir d'une bataille sanglante de la guerre de Crimée. C'est en 1854, lors de l'affrontement près de la gare de Crémet, que ce patronyme fut immortalisé².
La mémoire du lieu remonte cependant bien plus loin. Les premiers navigateurs la baptisèrent "baie aux tortues", en hommage aux nombreux chéloniens qui peuplaient ses eaux cristallines. Pour les Hollandais qui sillonnaient les mers des Indes, l'endroit constituait une escale privilégiée de ravitaillement³.
Sous administration française, Balaclava connut son apogée. Le gouverneur Mahé de La Bourdonnais, visionnaire et stratège, transforma la baie en arsenal militaire d'importance. Un hôpital, une fonderie et une batterie défensive prirent place dans ce site devenu névralgique pour la protection de l'île. L'ingéniosité française s'illustra particulièrement avec l'édification d'un barrage sur la rivière Citron, assurant l'alimentation hydraulique des ateliers⁴.
Le destin de l'arsenal bascula tragiquement en 1774, lorsqu'une explosion dévastatrice sonna le glas de cette entreprise militaire⁵. Il fallut attendre un siècle pour que le naturaliste américain Nicholas Pike, alors consul de son pays, redécouvre les charmes de Balaclava. Sa description témoigne de l'élégance qui avait succédé à la vocation guerrière : "Une allée bordée de haies de Cassia mène à une maison entourée de roses et d'arbustes exotiques. Les étangs regorgent de gouramis et de poissons rouges, et à l'extrémité du jardin s'étend un gigantesque banian."⁶
La vie quotidienne à Balaclava recèle des anecdotes savoureuses. Les enfants des ouvriers y pratiquaient l'écriture d'une façon singulièrement ingénieuse, utilisant des épines d'orchards sur des ardoises – pratique qui résonne avec les souvenirs d'enfance sur des pierres de lave, témoignant d'une adaptation créative aux ressources locales⁷.
Aujourd'hui, conscientes de la valeur historique exceptionnelle de ce site, les autorités mauriciennes ont classé monuments nationaux les vestiges de ce riche passé : minoterie, abysserie et barrage constituent désormais un patrimoine protégé⁸.
Balaclava n'est pas qu'une simple destination touristique parmi d'autres. C'est un livre d'histoire à ciel ouvert, un témoignage vibrant des époques successives qui ont façonné l'identité mauricienne. À l'heure où la mondialisation uniformise les paysages, de tels trésors méritent plus que jamais d'être préservés et valorisés.
Les Ruines de Balaclava sont aujourd’hui une attraction majeure à l’île Maurice.
¹ Archives nationales de Maurice, "Développement touristique du nord mauricien", 2023.
² Société d'Histoire de Maurice, "Toponymie coloniale et influence des conflits européens", 2022.
³ Van der Stel, J., "Journal des navigations hollandaises dans l'océan Indien", 1690.
⁴ Mémoires du Gouverneur Mahé de La Bourdonnais, "Administration des Mascareignes", 1735-1746.
⁵ Rapports de l'administration coloniale française, "Incident de l'Arsenal de Balaclava", 1774.
⁶ Pike, N., "Sub-tropical Rambles in the Land of the Aphanapteryx", 1873.
⁷ Témoignages oraux recueillis par la Commission du patrimoine mauricien, 2020.
⁸ Ministère du Patrimoine et de la Culture de Maurice, "Liste des monuments historiques classés", 2024.