Les arrivées touristiques laissent entrevoir que l’année se terminera sur une bonne note. Suite logique après la fin de COVID-19 ou est-ce du pilotage automatique dans ce secteur ?
Les prévisions laissent effectivement augurer une fin d’année très positive dans le secteur touristique et on a parfois du mal à croire que trois ans plus tôt il était à l’arrêt. Cette reprise n’aurait toutefois pas été possible si, d’une part, il n’y avait pas eu une action concertée entre les autorités publiques et le secteur privé pour gérer la situation de crise, empêcher la fermeture des hôtels et des licenciements et, d’autre part, préparer la reprise.
C’est ainsi que nous n’avons cessé de communiquer sur la gestion de la crise COVID-19 à Maurice et travaillé avec tous les partenaires pour assurer que la destination soit prête à offrir des garanties pour des voyages sûrs. Le résultat on le connaît, un engouement dès la reprise qui continue toujours. D’ailleurs, il est bon de souligner que sur nos principaux marchés, en particulier la France, Maurice reste la destination long-courrier préférée.
Quels sont les marchés qui ont émergé durant
l’année et comment s’annonce la suite dans ce
secteur porteur ?
D’abord, et je pense qu’il faut le faire ressortir, nos marchés traditionnels européens ont été au rendez-vous, la France et la Grande-Bretagne affichant un taux de recouvrement de plus de 100 % par rapport à 2019, selon les dernières statistiques disponibles. Pour autant, nous continuons à maintenir les efforts sur ces marchés car la concurrence y est présente et il faut rester vigilant.
On note aussi un engouement dans les pays du Golfe persique et du Moyen-Orient. L’augmentation de vols des compagnies aériennes comme Emirates ou Turkish Airlines et surtout la venue de Saudi Airlines démontrent l’intérêt de ce marché. Nous mettons beaucoup d’accent sur son développement. L’autre bonne nouvelle, c’est la réouverture du marché indien et la venue de Vistara, outre une augmentation des vols d’Air Mauritius sur Delhi et Mumbai. Nous travaillons d’arrache-pied là aussi pour que l’Inde redevienne un marché intéressant.
Enfin, les pays d’Europe centrale et de l’Est portent de belles promesses. Avec le retour prochain d’Aeroflot, nous allons pouvoir capter encore plus de voyageurs dans cette partie du monde.
Le changement climatique à travers le monde estil
une menace pour cette industrie dans la région
océan Indien ? Comment le pays s’est-il préparé
pour affronter une telle menace ?
Tous les États insulaires sont directement menacés par les conséquences du changement climatique et Maurice n’est pas une exception. Le tsunami de 2004 nous a donné une idée de ce que peut représenter cette menace. En même temps, cela nous a permis de commencer à nous préparer à toute éventualité. Dans le secteur touristique, surtout sur le littoral, différents plans pour prévenir et réagir ont été mis en place et des exercices
de simulation sont organisés de manière systématique. Mais le pays en général se tient prêt à affronter les catastrophes naturelles. La station météorologique s’adapte et met en place des campagnes d’information et de communication et je crois savoir qu’elle a investi dans des moyens technologiques poussés pour fournir des prévisions plus fiables et surtout à plus long terme.
Au niveau des infrastructures, le gouvernement s’est embarqué dans de vastes chantiers pour réhabiliter et protéger nos côtes, comme on peut le constater au Sud, de Baie-du-Cap à Bel-Ombre et à l’Est, de Vieux-Grand-Port à Quatre-Soeurs. À l’intérieur du pays, le système de drains est en constante amélioration dans toutes les régions et particulièrement dans les zones à risques. Évidemment, on ne pourra jamais tout prévoir
mais on ne s’épargne aucun effort pour assurer la sécurité de nos concitoyens et de nos visiteurs.
L’Europe reste incontestablement notre principal
marché. Comment la guerre en Ukraine, la crise
économique et les troubles au Proche Orient,
notamment la guerre entre Israël et la Palestine,
pourraient-ils nous affecter ou probablement nous
bénéficier ?
Jusqu’ici, nous ne voyons pas d’effets directs et immédiats en relation avec le conflit en Ukraine. Nous continuons à accueillir des visiteurs des pays de l’Est et de l’Europe centrale et, comme mentionné plus tôt, avec la venue d’Aeroflot les choses iraient en s’améliorant. S’agissant de la situation entre Israël et les territoires palestiniens, là encore, il n’y a pas d’effet direct. Toutefois, si cela débouche sur une guerre de longue durée avec la possibilité que des pays comme l’Iran ou le Liban, voire la Syrie, se mêlent au conflit, il y aura sans doute des répercussions, notamment sur le prix du pétrole et peut-être du gaz.Cela pourrait avoir une incidence sur le prix du billet d’avion et affecter éventuellement le budget de certains voyageurs. Mais il est encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet.
Nous avons souvent évoqué la diversification de
nos marchés. Quel a été l’apport de cette stratégie
pour le pays en termes de revenus et du nombre
de touristes ces derniers temps ?
Depuis la réouverture des frontières en octobre 2021, nous avons reçu plus de deux millions de touristes. Pour la période janvier-septembre 2023, nous en étions à 901 126 visiteurs soit 262 794 de plus que pour la période correspondante l’année dernière. À la veille de la haute saison, nous avons des raisons d’être optimistes quant au bilan de cette année. En 2020, les recettes du tourisme avaient chuté de 70 % par rapport à 2019 sous l’effet COVID-19. En 2022 les recettes du tourisme à Maurice ont rejoint le niveau pré-COVID 2019 en roupies et devraient largement le dépasser en 2023 avec une prévision de 100 milliards de roupies. En dollars, les recettes de 2023 dépasseront celles de 2019.
Le gouvernement a décidé d’accorder des permis
de construction pour de nouveaux hôtels. Est-ce
une bonne chose à votre avis avec le changement
climatique, l’érosion de nos plages ou est-ce
pour mieux faire face à la croissance ?
Il ne faut pas voir les choses de façon caricaturale. La demande pour notre destination continue d’augmenter et il est juste que le parc hôtelier y réponde en conséquence. Il y a un débat depuis peu sur la nécessité d’accueillir plus de visiteurs avec un fort pouvoir d’achat et il faut reconnaître que de ce
côté nous n’avons pas suffisamment d’hôtels dans la catégorie cinq-étoiles Luxury. D’autre part, certains de ces établissements
visent aussi une clientèle business et ne se situent pas sur le littoral. Cela dit, toute demande de permis fait l’objet d’un long processus d’examen qui inclut des exigences en termes d’impact environnemental et de respect des cahiers de charges. J’ai évoqué auparavant ce que les autorités font pour appréhender les conséquences du changement climatique. Il va de soi qu’on ne peut défaire ce que l’on fait déjà. D’ailleurs, pour répondre à la
partie sur l’érosion des plages, je vous rappelle que depuis 2017 toute nouvelle construction d’hôtel ne peut se faire qu’au-delà d’une limite de 30 mètres à marée haute (High Water Mark). Pour résumer, il faut un équilibre entre besoin normal de croissance et impératifs environnementaux.
Quels types d’hôtels devraient être construits à
Maurice ? On évoque de plus en plus des hôtels
pour une clientèle très haut de gamme qui fait
un peu défaut à Maurice. Comme c’est le cas à
Dubaï, en Thaïlande, etc. ?
Vous reprenez un peu votre question précédente. Effectivement, il y a ce besoin mais nous devons tenir compte que Maurice est une destination qui attire des voyageurs de différents milieux et nous devons pouvoir les accueillir tous. Il ne faut aussi pas oublier que les opérateurs du tourisme sont multiples.
Si nous avons une clientèle exclusivement « haut de gamme » qui ne fréquente pas les petits établissements ni les petits commerces, nous allons mettre en péril une partie de l’industrie touristique. Donc, là aussi il est important de faire de la place pour tout le monde.
Ces hôtels seront-ils prêts à temps pour accueillir
le nombre croissant de touristes ?
Il est un peu prématuré pour moi de répondre à cette question sachant que ce dossier relève plutôt de l’Economic Development Board. La main-d’oeuvre locale dans ce secteur demeure le poumon de l’industrie. Mais l’exode des employés mauriciens vers d’autres secteurs qui paient mieux, notamment les bateaux de croisières et hôtels de luxe à l’étranger, commence à se faire sentir.
La faute n’est-elle pas attribuable un peu aux promoteurs dans ce secteur très profitable qui
paient un salaire médiocre à ces employés ?
Je pense que les tendances que subit l’industrie touristique suivent celles d’autres secteurs, à savoir que les gens vont là où ils sentent qu’ils sont mieux payés. Ce n’est pas nouveau. La question de rémunération est certainement cruciale pour attirer les jeunes. Le gouvernement et le secteur privé travaillent sur ce dossier à travers un sous-comité, le Talent Management Group, qui devrait soumettre des propositions incessamment. Il appartiendra
évidemment aux investisseurs de juger si leur business pourra conserver le modèle actuel ou s’ils doivent le changer.
Air Mauritius investit massivement dans de nouveaux
appareils. Qu’attendez-vous de cette
démarche pour votre secteur ? Car la compétition est déjà là avec Emirates, Turkish Airlines, etc. ?
L’importance de la compagnie nationale pour notre industrie n’est plus à démontrer. Les investissements d’Air Mauritius dans sa flotte ne peuvent que nous aider à attirer plus de visiteurs. Pour autant, les autres compagnies qui desservent notre pays contribuent elles aussi à transporter les touristes. Elles
sont d’ailleurs sur des lignes que ne dessert pas la compagnie nationale et on ne peut vraiment pas parler de compétition mais plutôt de complémentarité. D’ailleurs, nous travaillons pour que d’autres compagnies viennent à Maurice pour pallier les destinations qu’Air Mauritius ne peut desservir.
Vous avez souvent évoqué le tourisme intérieur
et culturel. Cela n’a pas encore vraiment décollé
pourquoi ?
Je ne pense pas que cela soit tout à fait exact. Il faut quand même comprendre que le tourisme intérieur et culturel n’est pas un tourisme de masse qui va inonder les sites comme on peut le voir sur les plages. Cela dit, les activités de randonnées, les tables d’hôte, les food tours sont en nette augmentation. À Port-Louis, un nouveau musée, celui de l’Esclavage, vient de voir le jour ainsi que la House of Digital Art. Je me réjouis de voir se multiplier les initiatives privées. Tout cela participe à rehausser notre offre pour un tourisme intérieur et culturel.
Que prévoyez-vous pour 2024, avec une instabilité
politique dans certaines parties du monde et le
prix volatil du pétrole ?
Nous sommes confiants pour les premiers mois de 2024. Mais il faut rester prudents et ne pas se reposer sur des lauriers encore fragiles. De toute façon, les tendances récentes du tourisme nous imposent de continuellement rester sur le qui-vive et d’envisager tous les scénarios possibles. Le bon côté de la pandémie est de nous avoir appris que rien n’est pérenne.