Patrice Binet-Decamps a été un très grand hôtelier. Un immense dénicheur de talent et un formidable meneur d’homme. PBD est parti, mais il restera dans le paysage comme l’image tutélaire de notre industrie touristique. Nous lui devons beaucoup.
Au moment de lui dire adieu, j’ai retrouvé le portrait que je lui avait consacré en 2008. Nous avons passé des heures à parler pour saisir sa vision. PBD n’était pas un livre ouvert. Mais chaque page que l’on arrivait à tourner ouvrait grand sur son rêve de ce que devait être le tourisme en général et l’hôtellerie en particulier. Et il a réussi sur cette terre qu’il a apprivoisé et fait sienne. C’est un grand Mauricien qui vient de partir.
Adieu PBD.
Patrice Binet-Decamps, créateur de rêve
Il y a de l’explorateur dans cet homme. Cette envie de se dépasser, d’aller plus loin. Cette force de persuasion et cette habileté à concrétiser ses rêves le classent, à son corps défendant, dans cette catégorie d’hommes capables d’avoir une ambition et une vision d’avance. Patrice Binet Decamps est un défricheur. De talent. Un créateur de nouveaux horizons. À la tête de Constance Hotels depuis une dizaine d’années, il a su, à coup d’audaces, d’enthousiasmes, d’essais et de persévérance transformer ce groupe d’hôtel en un poste avancé de conquête hôtelière. Avec lui le groupe est passé de l’astrolabe au GPS. Portrait d’un créateur de rêves.
Il est difficile de croire, cependant, que cet homme est entré dans l’hôtellerie totalement par hasard. Nous sommes en 1977 à une époque charnière de l’hôtellerie en France. Introduire les notions de finances et de marketing dans cet univers devenait évident et les groupes commençaient à chercher des gens qui sortaient des grandes écoles pour venir compléter les hôteliers purs. « Le groupe Méridien était dans cette mouvance et comme je savais faire ce qu’ils cherchaient, je suis entré dans le groupe ». Il y restera quelque temps avant d’arriver à Novotel SIEH, qui deviendra quelques années plus tard le groupe ACCOR. Novotel marque sa rencontre professionnelle avec l’Afrique où ouvrira et dirigera quelques hôtels. L’Afrique, ses couleurs, sa terre, des hommes, son histoire marqueront l’homme.
L’île Maurice, en tout cas, se profile déjà à l’horizon. « Je travaillais sur Novotel Coralia à la Réunion et je suis venu passer quelques jours de vacances à Maurice. Des vacances vite écourtées puisque le groupe m’avait rappelé à Paris pour me confier une autre mission. Ce premier contact avec Maurice fut assez drôle car je n’en garde que le souvenir d’avoir visité Port-Louis alors que j’avais de l’eau jusqu’aux genoux ! » Nous sommes alors en 1978.
Cinq bonnes années passeront avant qu’il ne revienne à Maurice. Il revient recruter une quarantaine de Mauriciens pour un hôtel qu’il dirigeait au Sultanat d’Oman. « J’ai rencontré à l’époque sir Gaëtan Duval qui s’occupait du ministère du Tourisme et il était heureux de cette ouverture pour les Mauriciens. Parmi les personnes que j’ai recrutées à l’époque certaines travaillent encore avec moi aujourd’hui à Belle Mare ».
Et puis en 1992 c’est le groupe Constance qui sollicite ce grand voyageur. « Le groupe sucrier Constance cherchait quelqu’un pour reprendre ses activités hôtelières. Au début je n’étais pas très chaud car je voulais continuer à travailler en France. Mais vu ce que Constance ambitionnait de faire et les possibilités qui existaient de faire quelque chose de nouveau à Maurice, j’ai accepté. J’ai donc accepté la mission et le challenge de créer ce qui existe aujourd’hui et qui existera demain. Ce qui m’a surtout intéressé c’était de créer quelque chose de solide sur le long terme. De créer une hôtellerie différente ».
Cette différence Patrice Binet Decamps ne cessera, au fil des ans, de l’imposer, l’affiner jusqu’à l’obsession. « Les Hôtels Constance ce sont des produits bien spécifiques, des produits de niche. Lorsque nous avons lancé nos concepts, il y avait, et il y a toujours un certain nombre de chaînes, que nous appellerons généraliste, qui font leur travail admirablement et qui ont fait le succès de Maurice. La question, pour nous, était, toute simple : comment se démarquer. Pas gratuitement mais pour amener une nouvelle clientèle. Et je pense que la contribution des Hotels Constance a été sur ce plan-là très significative. Nous sommes fiers d’avoir pu attirer une clientèle à Maurice qui ne serait pas venu si nous n’étions pas là : luxe, golf, gastronomie… »
« Nous sommes fiers d’avoir pu attirer une clientèle à Maurice qui ne serait pas venu si nous n’étions pas là: luxe, golf, gastronomie… »« Quand on fait bien quelque chose, on a toujours envie de l’exporter. Ce savoir-être, ce savoir-faire, il est bon que Maurice et le groupe Constance puissent l’exporter »« Sans les employés Mauriciens, il ne se serait rien passé, c’est aussi simple que ça. Le Mauricien, grâce à sa manière d’être, a joué un rôle prépondérant dans la réussite de cette industrie.»
Cet homme de conviction qui allie les qualités rares d’engagement, d’action et de réflexion, ne cache pas que le travail est une notion de plaisir chez lui. Et, de ce plaisir, il en a fait une philosophie.
« La passion, l’enthousiasme, la perpétuelle remise en cause, c’est ce qui me fait avancer. Tout le matin se dire qu’est-ce qui va se passer de nouveau est intéressant, c’est déjà aborder les événements du bon côté. Comment réorienter les choses, suivre la mouvance, continuer à remplir nos hôtels, réfléchir sur de nouveaux produits… oui, mon travail est une passion. Mais ce n’est pas que la passion du client, c’est aussi la passion des employés. Je mets toujours les employés en parallèle avec le client car les deux sont étroitement imbriqués. Il y a donc un très fort équilibre à atteindre. C’est un métier de service, nous ne fabriquons pas grand-chose. Nos employés à tous les niveaux jouent un rôle clé dans la réussite de notre stratégie et ça nous ne l’oublions jamais ».
Les Mauriciens justement Patrice Binet Dscamps reste intarissable sur le sujet. « Sans les employés Mauriciens, il ne se serait rien passé, c’est aussi simple que ça. Le Mauricien, grâce à sa manière d’être, a joué un rôle prépondérant dans la réussite de cette industrie. Pourquoi une telle aptitude ? On peut l’expliquer de différentes manières : les origines diverses de la population, son éloignement pendant des siècles… Il s’est créé ici un homme nouveau. Cette attention vis-à-vis de l’étranger, cette bonhomie fait qu’il évolue en toute confiance avec ceux qui viennent d’ailleurs.
« Bien sûr il a fallu travailler sur la compétence – ce qui fait notre Académie avec bonheur – mais la fondation, la base, existait. Les Mauriciens ont une prédisposition pour l’hôtellerie et c’est ce qui explique la réussite de l’industrie touristique mauricienne, pas uniquement la nôtre ».
Passionné d’histoire (« On trouve un maximum de réponses à ses interrogations en s’intéressant à l’histoire »), de culture (« Ce que nousfaisons au Prince Maurice et à Belle Mare Plage en termes de culture et de gastronomie nous permet de remettre l’île Maurice à la place qui est la sienne et de consolider son image de marque ») Patrice Binet Descamps reste passionné par son métier. Que ce soit aux manettes de l’Intelligence Unit, accroupi à côté d’un transat à prendre les nouvelles d’un client, ou inspiré et lointain devant les plans d’un hôtel à créer ou à améliorer.
« Notre ambition à Constance est de bien faire notre métier et de toujours aller vers des destinations ou des produits qui sont en rapport avec la demande. Notre expansion régionale répond à ce besoin. C’est une évolution logique. Quand on fait bien quelque chose, on a toujours envie de l’exporter. Ce savoir-être, ce savoir-faire, il est bon que Maurice et le groupe Constance puissent l’exporter»
Pour PBD – c’est ainsi que l’appellent ses collaborateurs- si l’hôtellerie et le tourisme ressemblent bien à la dernière aventure humaine possible, il n’en reste pas moins que l’entreprise reste sérieuse.
« Cela reste dans l’absolu une entreprise économique comme une autre. Elle devient même de plus en plus lourd, avec des charges financières importantes. Nous n’avons plus le droit de nous tromper, sous peine d e risquer l’argent des actionnaires. L’industrie touristique a pris une autre dimension marketing ces 20 dernières années. Pas uniquement en termes de commercialisation mais en termes de définition de produit. C’est un métier en perpétuelle mutation car intimement lié aux structures de marché. C’est ce qui rend ce domaine très intéressant. D’où l’importance de notre Intelligence Unit qui nous permet d’analyser, apporter des réponses rapides et prévoir autant que possible l’avenir. Il faut maîtriser tous les paramètres pour ne pas être irrémédiablement largué ».Le luxe de la pensée, la pensée du luxe… c’est l’autre dada de Patrice Binet-Décamps.
« Le luxe c’est le souci du détail et veiller à ce que tout s’imbrique parfaitement en harmonie. Le luxe n’est pas tapageur, il est là pour mettre en harmonie les sens. Dans chacun de nos hôtels, cette harmonie est notre marque de fabrique. Et c’est sans doute pour cela que nos clients adorent revenir chez nous. Ils y ressentent un plus, une partie d’eux-mêmes. Cet esprit Constance est probablement notre plus grande réussite. Et ça, c’est grâce aux hommes qui font partie de notre groupe. Sans la passion, cette aventure humaine ne peut pas se réaliser et chez Constance notre compétence est égale à notre passion ».
Exigeant avec lui-même – il considère passer trop de temps dans son bureau et pas assez dans les exploitations -, lève tard impénitent – « Je travaille jusqu’à très tard, il faut bien récupérer à un moment » - Patrice Binet-Décamps refuse l’étiquette – tout à fait juste selon les observateurs – selon laquelle le groupe Hotel Constance c’est surtout la concrétisation de son rêve de l’hôtellerie.
« À mon âge, je n’ai plus beaucoup d’ego et je n’ai plus besoin de prouver les choses sinon à moi-même. Ma préoccupation première c’est de servir la compagnie et de mériter la confiance des actionnaires qui investissent lourdement. Ma grande responsabilité, c’est de veiller aux intérêts de mes 2 500 employés et de m’assurer que les décisions prises ne mettent rien en danger pour leur avenir. Les Hotels Constance ce n’est pas PBD. Je suis le haut de l’iceberg. Le plus important dans cette réussite, ce sont les actionnaires et les employés. Et puis si le groupe n’avait pas eu cette ambition en 1992 je ne serais jamais venu. Si je n’y avais pas cru, je ne serais pas resté à Maurice. Il y eu à Constance une ambition de bâtir quelque chose de grand et de nouveau et je ne suis pas le seul à en avoir été l’inspirateur ».
Mauricien dans l’âme (« L’île Maurice est le pays où j’ai vécu le plus longtemps, il est normal que je me sente Mauricien. Ensuite on ne peut rester dans un tel pays si on ne le respire pas par tous ses pores. Pour moi c’est arrivé depuis longtemps ») regarde l’industrie touristique mauricienne évoluer avec la certitude que demain sera probablement brillant.
Avec un bémol, qui caractérise bien l’homme. « L’avenir est brillant si on laisse le soin aux professionnels de faire ce qu’ils savent faire. Il y a beaucoup de professionnels à Maurice, il suffit de les écouter pour dessiner les contours d’un avenir brillant pour l’industrie touristique mauricienne ». Et de ne jamais tourner le dos à la réalité du marché. « Je voyage beaucoup pour étudier les choses sur le terrain, c’est essentiel dans ce métier. La vérité vient des marchés et il ne faut jamais hésiter à mettre ses habits de prédicateurs pour aller apporter la bonne nouvelle…»
Il y a une constance dans le destin de ce groupe à fabriquer et réaliser les rêves. PBD !
Jean-Joseph Permal